Du plus loin que je me souvienne, les renards argentés du sud d’Hiémisla avaient la réputation de porter bonheur à ceux qui en croisaient d’après une légende très ancienne. Autant ils étaient sacrés, autant leurs peaux étaient très recherchées afin de réaliser des encolures de manteaux voire divers habits qui étaient, disait-on, signe de richesse.

Très tôt, j’ai été élevé par une famille de chasseur qui me préparait au rite de passage à la vie adulte, afin d’être reconnu parmi mon clan, et qui était de traquer cette créature pour le moins étonnante. A mes quinze ans, mon père me fit donc lever tôt, m’extirpant de ma yourte alors que les lueurs de l’aube se consumaient à peine à l’horizon. Vêtu chaudement, il me fallait remplir mon rôle et faire la fierté des miens en prouvant ma valeur durant tout un voyage initiatique.

Pendant 40 jours, je me devais de survivre à travers les steppes et piéger cet animal, dont finalement, je savais si peu de choses. En écoutant les histoires au coin du feu, je sus qu’il avait la fâcheuse habitude de se fondre dans le paysage lactescent de part sa robe immaculée, que les deux orbes enflammées qui lui servaient de yeux semblaient à s’y méprendre à des brindilles tandis que ses crocs tellement acérés, pouvaient déchiqueter la chair sans aucun remord dès qu’un danger se faisait sentir. Je partis donc, bagage sur le dos, avec quelques vivres, un arc et un carquois finement ouvragés et mon bâton de marche.

Il me fallut bien de la route avant de pénétrer enfin dans la forêt où, d’après mes renseignements, se nichaient les meutes de renards argentés. Y installant mon camp de manière sommaire mais de quoi être protéger les nuits glaciales, me voilà qui étais prêt à affronter les plus rudes moments qui soient.

Oh, j’étais pleins de ferveur et croyais fermement que je parviendrais à mes fins ! C’est ainsi que trois jours et deux nuits passèrent sans que mes recherches soient fructueuses, si ce n’est quelques lièvres qui me servirent de repas.

La solitude et le silence, vaguement entrecoupés par les hululements de quelques hiboux pleins de sagesse me pesaient peu à peu. Au quatrième jour cependant, alors que je cherchais un autre lieu moins humide pour établir mon campement, je tombai nez à nez avec une rivière et mieux encore, avec ce qui ressemblait en tout point à la raison de ma quête.

Le plus discrètement possible, je m’approchais pour observer un renard des neiges du plus bel acabit. Le plus magnifique qu’il m'eut été donné de voir ici-bas et je n’osais en croire mes yeux jusqu’à en rester bouche bée. Ce dernier s’abreuvait et ne faisait guère plus attention à moi, donc en tant que futur prédateur, je pris mon arc, une flèche et l’avisant, m’apprêtais à lui tirer dessus. C’est alors qu’il releva sa tête, gueule béante pleines de crocs, et me jaugea de toute sa hauteur comme s’il avait deviné depuis un moment qu’il était observé.

Dans mon esprit, une voix profonde et étrange s’immisça :

« Eh bien chasseur, qu’attends-tu pour me tuer, moi créature si vulnérable ? Ne suis-je point la proie que ton cœur juvénile néanmoins ardent souhaite conquérir ? Ne suis-je guère le futur trophée que tu exposeras fièrement aux yeux des tiens ? »

J’en restais interdit ! Comment cet animal pouvait ainsi communiquer ? Magie sombre et funeste ? Je ne sus que répondre mais je dus bien admettre que la situation s’avérait complexe. Etrangement, je n’avais qu’à lui planter une flèche, le ramasser et repartir. En même temps, quand bien même ce devait être mon jour de chance et que les dieux étaient de mon côté, je n’avais jamais ressenti ce besoin de verser le sang sans raison, mais n’était-ce pas là mon devoir ?

« Jeune garçon, décides-toi car ce sera ta vie ou la mienne.

- Et si je ne vous tue pas, que dirais-je aux miens ? Que penseront-ils ? Que je ne suis qu’un couard et un incapable ?

- Voilà bien des questions sur la nature humaine auxquelles je n’ai aucune réponse, mais si plutôt que de lâchement me tuer, nous concluions un pacte ? Tu m’aides dans une quête et alors je saurais te récompenser généreusement."

Ma bouche s’ouvrit de surprise mais aucun son ne s’en échappa. Aussi laissais-je mes pensées s’exprimer à ma place.

- Soit, je veux bien t’aider mais si tu veux me duper, saches que je n’hésiterais pas à te tuer comme j’aurais déjà dû le faire.

- Cela me convient, humain. Alors vois-tu, à trois jours de marche d’ici vers l’est, existe un ermite. Un vieil homme qui sous le poids des ans, ne peut plus aller chercher de l’eau à la rivière ou bien vaquer à ses occupations quotidiennes. Toi qui es si jeune et fort, je te propose de lui porter secours. Durant une semaine entière, tu devras accomplir toutes ses tâches à sa place. Chercher l’eau, mijoter ses repas, réparer sa cabane, couper du bois… Bien entendu, tu lui obéiras et avec tous le respect qui lui est dû et en l’honorant comme si c’était l’un des tiens. Dans une dizaine de jours, je viendrais à ta rencontre et te donnerai ta récompense.

- Bien, j’exécuterai ce que tu me demandes mais tu as intérêt à tenir ta promesse.

Le pacte conclu, je me mis donc en route pleins d'espoir, mais néanmoins rempli de doute.