Il y a bien longtemps vivait un jeune homme du nom d'Archibald. Il vivait seul dans une cahute au fond des bois, avec pour seule compagnie les sniffiks et les renards. Ses parents étaient morts tous deux trois ans auparavant, emportés par la maladie, et Archibald n'eut pas le temps de se noyer dans le chagrin, contraint de reprendre le rude travail de son père, qui était bûcheron.
Archibald ne souhaitait pas d'autre existence que celle-ci, et il se contentait de son mode de vie plus que modeste. Il évitait la compagnie de ses semblables et redoutait par-dessus tout ses rendez-vous au marché le plus proche pour y négocier son bois et les visites de ses acheteurs qui venaient prendre la marchandise.

Il ne connaissait ni l'ennui, ni l'ambition et ne ressentait jamais le moindre désir d'aller voir ailleurs. Mais une nuit, sa vie pris un tournant décisif.
En effet, pendant son sommeil, il fit un rêve d'une force extraordinaire, lui qui ne rêvait presque jamais, en fut profondément bouleversé. Ce rêve pris la forme d'un grand hibou planant au-dessus d'Archibald, et s'adressant à lui d'un ton impérieux.

"Archibald ! Loin à l'est il y a une grande cité nommée Vivec. Pour atteindre ses portes il faut franchir un pont qui surplombe un grand fossé asséché. Sous ce pont, tu trouveras un trésor fabuleux ! "

Au matin, épuisé et agacé par ce rêve si intense, Archibald fut de mauvaise humeur pour toute la journée. Après s'être adonné à son labeur jusqu'au soir et avoir soupé, il ne tarde pas à se coucher et à s'endormir.
Dans son sommeil, le grand hibou refait son apparition... Et de la même façon, il lui tourne autour en ne cessant de répéter ces paroles :

"Archibald ! Loin à l'est il y a une grande cité nommée Vivec. Pour atteindre ses portes il faut franchir un pont qui surplombe un grand fossé asséché. Sous ce pont, tu trouveras un trésor fabuleux ! "

Cette-fois ci, Archibald se réveilla, comme pour s'échapper de ce songe pernicieux, et il ne put retrouver le sommeil de la nuit.
Sa journée fut pire que la précédente, et il eut grand mal à se décider d'aller au lit. Il se disait que si ce rêve revenait cette nuit encore, il faudrait penser sérieusement à aller voir un guérisseur, et cette pensée l'accablait.
Une troisième fois le rêve eut lieu, identique dans les moindres détails et dans la force aux deux fois précédentes.

Archibald, désespéré, décida de temporiser et cru que ce rêve allait finir par disparaitre un jour ou l'autre, il trouvait toujours une bonne excuse afin d'éviter de se rendre chez le guérisseur, casanier qu'il était...

Mais après deux semaines pendant lesquelles chaque nuit fut hantée par ce hibou, Archibald n'en pouvait plus, il alla au village et rendit visite au guérisseur, un vieillard sage et renommé.

Le vieux guérisseur, après avoir examiné Archibald sous toutes les coutures et lui avoir posé de nombreuses questions au sujet de son rêve, le regarda un long moment avant de donner son diagnostic.

"Archibald, je préfère être franc avec toi : je ne peux pas t'aider. Le mal qui t'affecte ne peux pas être soigné. J'ai déjà entendu parler de cas semblables, et à chaque fois, si la victime ne suivait pas les injonctions du rêve, elle finissait par devenir complètement folle et pouvait tenter de mettre fin à ses jours. Quoi qu'il en soit, je ne connais personne dans tout le royaume qui possède les compétences suffisantes pour te guérir."

Effondré, Archibald rentra chez lui la tête basse et pleine de crainte. Lui faudrait-il donc partir dans une folle expédition dans le seul but de ne pas perdre totalement la raison ? Une telle perspective le faisait frissonner de tout son être, lui qui n'avait jamais quitté ses sous-bois et ne connaissait qu'un seul village au monde.

Trop timoré pour se décider à entreprendre le voyage vers une cité dont il n'avait même jamais entendu parler, il essaya de se convaincre que la seule force de sa volonté suffirait à vaincre le maléfice, et il s'endormit avec une détermination farouche, bien décidé à lutter de toutes ses forces contre le rêve.

Mais rien n'y fit... Le grand hibou, plus menaçant et autoritaire que jamais, réitéra son injonction et Archibald commença à désespérer. Dans les jours qui suivirent, il se força à lutter contre le someil, espérant que quelques nuits de veille finiraient par faire fuir le rêve si envahissant. Mais ce fut un échec, après 5 jours et 5 nuits sans dormir, Archibald finit par succomber, et le hibou revint.

Finalement, Archibald pris sa décision. S'il ne voulait pas devenir complètement fou, il lui fallait partir... Le coeur déchiré, il prépara son baluchon et salua une dernière fois sa masure avant de partir vers l'est. Il était persuadé qu'il ne reverrait jamais sa clairière ni sa maison, tant les dangers d'un tel voyage lui apparaissaient redoutables.
Au moment où il passa le seul village qu'il connaissait dans cette direction, il frémit à l'idée que dorénavant, il s'aventurait plus loin qu'il n'avait jamais été.
Peu à peu, il apprit à s'adapter à sa nouvelle existence itinérante. Il ne manquait pas de jugeotte et était de fort robuste constitution, aussi, il surmonta aisément les obstacles qui se dressèrent contre lui...obstacles bien moins redoutables que ce qu'il imaginait, somme toute.
Les jours se transformèrent en semaines, puis les semaines en mois, et jamais encore Archibald n'entendit parler de la cité de Vivec, où qu'il demandât.
En revanche, il vécu de nombreuses péripéties qui lui forgèrent peu à peu un caractère solide et résolu.
Toujours marchant vers l'est, notre voyageur rectiligne découvrit des choses qui dépassaient son entendement et tout ce qu'il aurait pu imaginer. Il vit des paysages fabuleux, des créatures étonnantes, des peuplades extraordinaires...
Et le hibou, me demanderez-vous ? Et bien, depuis son départ, Archibald eut un sommeil épargné de tout cauchemard, jamsi il ne revit le hibou... Toutefois, il avait la conviction que s'il lui prenait l'envie de s'arrêter pour de bon ou de rebrousser chemin, sa némésis reviendrait aussitôt hanter ses nuits.
Et les mois devinrent des années...